mardi 26 février 2019

Traverser nos tempêtes

Il y a peu j’ai écrit Marcher avec la tempête …
Je me rappelle qu’en l’écrivant je me suis dit « Tu es sûre, tu es capable d’assumer ce que tu dis, d’honorer ta Médecine au moment où le défi se présentera pour de vrai ?»  Le tout avec la sensation, qu’en partageant ces propos je jouais à l’effrontée et que l’Univers n’allait pas tarder à m’envoyer une épreuve juste pour voir si j’allais être cohérante. Je ne prétends pas que ceci soit une pensée saine ou rationnelle, c’est juste ce que j’ai ressenti. Après une certaine hésitation j’ai posté mon billet malgré tout.

Quelques jours plus tard j’étais en cercle lorsque mon téléphone a sonné. Normalement je ne réponds pas mais nous étions en pause alors j’ai pris l’appel. C’était la tempête ! Son souffle court, garant d’un blizzard à venir. J’ai inspiré profondément, rassemblé mes esprits et poursuivi le cercle. Lorsque tout le monde a été parti j’ai éclaté en larmes et réalisé que cette fois-ci mon compagnon ne serait pas à la maison pour me consoler à mon arrivée …
Alors s’est mise en branle une autre partie de moi-même trop bien connue, une sorte de pilote automatique; passer à la maison rassembler des effets personnels, foncer à l’hôpital le cœur lourd, se perdre dans un câlin trop plein de mots qui se veulent rassurants, prier tout ceux susceptibles de veiller et finalement récupérer les enfants, arriver très tard à la maison et bourrer le poêle avant de sombrer dans les bras de Morphée et entendre la tempête battre à mes tempes, me serrer le cœur, me fracasser de l’intérieur.

Le lendemain la tempête a redoublé…
Il faut un transfert en avion même si on ne sait pas s’il pourra décoller…
Les éléments sont déchainés,
La maison craque, tandis que mon âme se recroqueville sous les assauts des rafales et la mine défaite des enfants apeurés.
J’allume des chandelles, en quantité.
Créer un cercle de lumière, maintenir le fort en tant que Mère.

Plus tard, pour la première fois de toute ma vie, je laisse les enfants* seuls sans leur papa, seuls sans moi… et je sors, j’enfile mes raquettes et je pars marcher dans la tempête.
J’ai besoin de prendre de la distance, de m’enfoncer au fond des bois.
Marcher plus loin, toujours plus loin, m’enfouir profondément dans l’antre de la forêt.
Oublier momentanément toute la tension, toute la peur, toute la douleur.
M’affranchir, me délester…
Jusqu’à ce que j’arrive au pied d’une immense épinette, une mama toutes branches déployées qui naturellement forment un abri.
Ici tout est calme.
Le vent s’est tu.
Les flocons virevoltent tranquillement.
Le reste du monde n’existe plus.
Le péril est dissipé, envolé.
Je m’arrête, remercie et me laisse glisser au sol, là dans les bras d’une épinette.

Me déposer dans des bras plus grands que moi.
Mon cœur se calme, mes larmes se tarissent, ma colère s’estompe, la fatigue me gagne et je voudrais m’endormir ici. Me laisser glisser dans les bras de Morphée, m’engourdir par le froid et ne plus me réveiller. Juste tout oublier, ne pas devoir assumer, réconforter, veiller, espérer, prier … mourir à cette tempête dans la tiédeur des bras d’une épinette, loin au milieu des bois, là où je me sens chez moi.

Mais je me suis relevée.
Apaisée et déterminée à aller prendre soin de ma trâlée à veiller encore et encore, espérer que tout allait bien aller. Sauf qu’à force de marcher j’étais plus loin que ce que je pensais. Quand je suis sortie du bois j’étais à l’autre bout du champ, en plein désert blanc. Rien pour arrêter la tempête, contenir la poudrerie, atténuer les bourrasques. Marchant péniblement, courbée face au vent, les poumons en feu s’est maintenant que tout se jouait. Qui de la mort ou de la vie allait triompher ? J’ai cru que je n arriverai jamais à rentrer et me suis retrouvée à me demander ce qu’il allait advenir de mes enfants restés seuls à la maison, tandis que notre prince du Désert était sur la table d’opération. J’étais en pleine furie, en pleine confrontation avant de réaliser qu’il ne s agissait pas d’un combat, mais d’une danse... celle d’un puissant rite de passage. Consentir à la tempête, à ce que nos rêves soient malmenés, à lâcher prise, à perdre du précieux pour ne se raccrocher qu’au Sacré, cet espace invisible sans promesse ni certitude mais dans lequel se tient notre essence, alors l’épreuve se met à faire sens. Se dévoile un espace lumineux, numineux, même s’il est incertain non prévu, non planifié, non souhaité. Ainsi aux confins de ce grand Désert blanc se dessinait la piste d’un Renard. Mon animal Totem veillait, je goutais à ma propre Médecine et j’intégrais.

Depuis le Renard est revenu nous visiter, nous aidant à rafistoler nos cœurs amochés et à croire que le meilleur est à espérer.
Aujourd’hui, alors que la tempête s’ébroue depuis deux jours, nul besoin d’aller confronter les éléments, de titiller le sens de la vie, de prendre de la distance en quête de sens. Je suis restée au chaud avec toute ma tribu rassemblée, à apprécier nos morceaux rapaillés, à prier pour remercier et honorer ces pas marchés.
Le cercle Traverser nos Tempêtes se tiendra le 24 mars de 13h30 à 16h30
www.chemins-de-traverse.ca

* le plus vieux de nos enfants a 17 ans J 

4 commentaires:

  1. Un grand merci pour le partage de cette traversée. Ton récit me touche !
    Il est empli de lucidité et de beauté
    Le message de l'épinette : "l'espoir dans l'adversité"
    Affectueusement
    Solène

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  2. Merci pour ton partage empreint d'humilite et de vulnerabilite. Il me rejoint dans mes souvenirs. Et je souhaite qu'apres cete tempete un beau printemps te soutienne ainsi que ta famille. Je t'envoie une bouffée de tendresse.

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  3. wow tellement symbolique merci, pssst le 24 c'est la date d'anniversaire de papa, lui aussi devenu étoile avec Lilas, et ces tempêtes j'en ai vécu plusieurs avec lui... merci ma douce pour ton partage <3

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  4. Magnifique traversée vécue et racontée avec brio! On vous suit pas à pas, respirons le même souffle de vie, illusion, vastitude, blancheur, épinette et renard à nos côtés. Merci!

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