mercredi 9 janvier 2019

Marcher avec la tempête

Depuis trois jours une tempête s’annonçait !
Au petit matin le ciel est devenu blanc, gris et le vent s’est mis à souffler. Cette fois-ci c’était vrai.

Plus tard dans l’après-midi les flocons se sont mis à tomber, puis le vent a redoublé. À présent il neigeait à l’horizontal, les rafales se succédaient, tandis que les arbres ployaient sous les bourrasques. Ça m’a donné envie de sortir, sortir de mon confort, de ma tiédeur. Envie d’aller marcher dehors, envie de me sentir en Vie ! Marcher dans la tempête, me confronter aux éléments, me faire bardasser par le vent qui hurle à mes oreilles, me déstabilise et me soutient en même temps, perturbe mon équilibre. Jouer à ce jeu où arc boutée sur lui, je cherche un peu d’appui, jusqu’à ce qu’il me renverse où me lâche … dans les deux cas c’est la chute. Mais j’aime ce jeu de puissance, de nuance, de subtilité et de douceur à la fois, de défiance, de lâcher prise absolu en même temps que de grande mobilisation.
J’aime ressentir cette force qui peut faire fi de moi… me faire sentir peu de chose. Relativiser mon importance, mes responsabilités, mes engagements, mes souffrances et me laisser appartenir à quelque chose de bien plus grand. Me lier à l’univers toute entière.
J’aime savoir que lorsque je vais rentrer à la maison, tout va bien aller, je serai au chaud et en sécurité, entourée de ma famille adorée et en santé.
J’aime me rappeler nos rituels de tempête enfants, alors que nous faisions du pain avec notre maman.
J’aime sentir que si j’entre dans la forêt, tout est beaucoup plus apaisé. En retrait, à l’abri du monde, même de la tempête, la forêt me tend les bras, me berce et me protège.
J’aime voir les pistes des animaux, m’imaginer ce qu’ils ont fait aujourd’hui sans se soucier de ce fracas qui effacera toutes les traces de leur passage, ni craindre de ne plus retrouver leur chemin.
J'aime marcher et ne rien voir, devoir plisser les yeux et toucher au précieux, transportée dans une autre réalité.
J'aime me laisser chevaucher par cette fureur qui n'est que passagère, messagère.
J’aime ressentir au plus profond de moi que malgré la tempête la vie continue.
Et tandis que la force du vent m’emporte je me sens libre, libérée de tout ce poids qui pèse sur moi, comme si l’intensité du vent relativisait celle qui se tapit, se presse et se compacte dans les tréfonds de mon être.
J’aime ce moment où l’on peut se rendre, baisser les armes, arrêter de guerroyer et se reposer.
J'aime cette idée de pouvoir hurler à fendre l'âme tout en étant debout.

Le soir venu la tempête est installée. La maison se met à se tordre, à craquer, les vitres à vibrer. La tempête est là, rugissante. Alors je me mets à penser à cet après-midi où j’ai marcher avec la tempête et la possibilité, dans la vie, de marcher AVEC la tempête. J’aime les analogies que me propose la nature pour mieux comprendre mon quotidien, comprendre ce qui s’adresse à moi et qui fait que ma vie a du sens. Est ce que dans la vie nous pourrions marcher avec nos tempêtes, plutôt que de nous battre, de refuser en permanence, de s’empêtrer, de s’encolérer, de s’épuiser…
Aujourd’hui la réflexion ait aisé, je suis dans un moment de vie où ça va bien, même si c’est toujours risqué de dire ce genre de choses… comme si on craignait chaque fois le retour de bâton. Oui cultivons la gratitude, mais ne clamons pas trop fort que tout va bien, on ne sait jamais le vent pourrait tourner. Alors je le dis sans trop faire de bruit et en touchant plein de bois ! Mais c’est justement parce que je vais bien en ce moment, parce que je ne suis assaillie que par un nombre raisonnable de monstres, que je peux me permettre d’accueillir cette réflexion et de la partager… car nous le savons tous et toutes, quand la tempête survient, rugit et nous fracasse on accueille plus, on ne réfléchit plus, on ne partage plus, on est plus inspiré mais juste aspiré sans trop savoir comment ça va finir ni ce qui va nous arriver ou rester de nous. Et j’en convient il y a des tempêtes plus douces que d’autres; un incident à l’école est moins pire que l’annonce d’un cancer, et la perte d’un travail moins pire que celle d’un être cher. Il y a des marches plus faciles que d’autres… n’empêche  que l’on marche avec la tempête malgré tout, avec son intensité, avec ses havres de repos, avec les indices qu’elle nous laisse et ceux qu’elle efface. Et les femmes qui viennent à la yourte prendre part aux cercles de paroles et différents ateliers, me le rappellent régulièrement. Certaines d’entres elles traversent des épreuves très rudes. Au début de leur prise de parole, elles sont émues, confuses, en larmes, parfois même en gros sanglots, comme nous le sommes tous et toutes au moment où une tempête s’abat sur nous. Elles sont démunies, affaiblies, assaillies et puis à force de mots, l’intensité s'essouffle, s’estompe, les larmes se tarissent et souvent un sourire réapparait comme un soleil entre de gros nuages. La tempête semble passée… pas totalement, mais suffisamment pour pouvoir respirer, reprendre son souffle, retrouver sa trace. L’onde de choc, les plus grosses rafales, le corps à corps sont derrière. 

Il ne reste que le calme plat, le grand silence qui suit les déchainements, les pertes de contrôle. Le temps est à évaluer les dégâts, rapailler ses morceaux et aller de l’avant.  À présent l’esprit et le cœur allégés il devient possible de marcher avec la tempête, se laisser chevaucher par le grand vide qui a rendu le ciel limpide… comme une nouvelle page à écrire, un nouvel avenir à apprivoiser… le temps de réapprendre à marcher.

Ainsi les tempêtes nous permettent de nous démembrer tout en continuant d'exister. Elles opèrent comme une mue, une sorte de mise à nu à l'univers, un ultime consentement à cette grande marche sur Terre.

Ce soir enfouie sous les couvertures, mon bambin accroché au sein, bercée par les accords lancinants de mon grand, tandis que ma chipie chérie s'assoupie dans son lit et que l'homme nourrit le feu, je vais écouter la clameur et la fureur de la tempête, sans peur, car elle est à l'extérieur. Je vais tendre l'oreille à ses enseignements, remercier les dieux, mes aïeux et ma petite soeur de veiller sur nos coeurs. Et au moment de sombrer dans les bras de Morphée je remercierai aussi cette vieille Grand Mère venue du Nord pour me transmettre sa sagesse et lui adresserai une ultime prière;  celle de m'apprendre à marcher, danser et chanter lors de chacune de mes traversées !



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