Il y a quelques mois, alors que nous étions en décembre et que l’hiver entrait doucement dans nos vies, j’ai réalisé un rituel, une célébration de l’hiver avec les familles de mon coin. Nous avons chanté, raconté des histoires, apprivoisé ce que l’hiver avait à nous chuchoter, puis nous avons conduit la mère Ourse dans sa tanière. C’était un moment solennel; dégager un petit endroit au creux d’une racine, rassembler quelques mousses et brindilles en guise de matelas, l’y déposer et s’en aller.
L’y déposer et s’en aller.
En posant ce geste chacun de nous laissait quelque chose sur lequel il fermait la porte, quelque chose qui dormirait tout au long de l’hiver et qu’il nous tarderait de retrouver le printemps venu. Au moment de déposer l’Ourse au fond de sa tanière je me suis sentie très émue, ce n’était pas que symbolique. Tout mon corps et mon âme semblaient me dire : « Tu es sure ? Tu es vraiment sûre ? Il ne s’agit pas juste d’une histoire racontée lors d’une fête, il s’agit de déposer et d’enfermer quelque chose de précieux pour les prochains mois… et les prochains mois tu sais à quel point ils peuvent être durs ! Es-tu certaine que tu sauras faire sans l’Ourse tout au long de l’hiver ? »
Parce que oui concrètement j’utilise beaucoup ma figurine d’Ourse et tout ce qu’elle représente dans les différents ateliers que je propose. L’Ourse a une place de choix dans les centres que je dresse pour concentrer notre attention. Mais surtout l’Ourse incarne la force, le caractère, la protection, le dévouement, l’assurance et la prestance. Étais-je sûre ? Saurais-je faire sans ? Je ne le savais pas, mais j’avais envie d’essayer car l’ourse incarne aussi une grande sagesse, celle de savoir s’arrêter, de ménager ses forces, de consentir à ce qui est, soit un long hiver. L’Ourse a aussi cette extraordinaire capacité de décaler sa gestation. Moi qui veut tout, tout de suite et à ma façon, quel puissant enseignement ! Ralentir, me reposer, mettre mes projets sur pause, me laisser avaler par la neige jusqu’à presque disparaitre du monde, me faire oublier, ne plus me battre et m’enfoncer dans ma tanière, descendre, m’enfouir au plus profond de moi là où se logent tant mes ténèbres que mes lumières.
Je l’ai fait, pendant de longs mois, consentir à ralentir.
Tenter d’initier quelque chose, de mobiliser des parties de moi et me rappeler que non. Non je ne pouvais pas. J’avais pris l’engagement de ne pas utiliser ces qualités, ces manières de faire ou trait de caractères qui dormaient au fond de la tanière. Alors j’ai dû faire autrement ou laisser aller, consentir à ne pas tout contrôler, à vivre avec une énergie limitée, à mettre de côté de nombreux projets.
Il y a quelque chose de puissant dans cette médecine, une forte confrontation entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’invisible et ce qui paraît, entre la pression que peut exercer la société et ce dont peut rêver notre unicité. Ainsi je n’ai rien fait ou si peu. J’ai été très peu active ou productive dans mes différentes implications, pire que tout puisque j’ai consenti je n’ai pas ouvert mon manuscrit. Je n’ai pas écrit, rien, pas une ligne, par l’ombre d’un avancement, aucun pas dans l’échéancier, même pas un petit quelque chose susceptible de m’encourager. J’ai plutôt chaussé mes raquettes, me suis promené dans les profondeurs de la forêt qui ne manquaient d’amorcer de longs dialogues avec moi même. J’ai pisté les renards, les lièvres et les écureuils comment autant de chemins à suivre, à découvrir, à parcourir. Je me suis reposée sur le dos de mon cheval tandis qu’il continuait à manger. J’ai respiré, amplement, profondément chaque fois que son immense cage thoracique s’emplissait d’air et semblait m’insuffler un peu de paix et de calme, de confiance et de sérénité. J’ai observé les grosses vaches à mes parents couchées au soleil, occupées simplement à ruminer et à nourrir la vie qui se déployait dans leur ventre. En étant présentes à ces instants j’ai rapatrié des morceaux, pansé des blessures, apprivoisé d’autres perspectives. Je me suis donné du temps… le temps d’absorber cette vie tonitruante qui ne cesse de nous bousculer. J’ai câliné mes enfants et assisté à un nombre incroyable de match de hockey au cours desquels j’ai tellement pleuré parce qu’en vrai c’est toute une autre game qui se jouait. L’air de rien, sans que rien ne paraisse, j’ai honoré. J’ai honoré. J’ai honoré.
Puis le Soleil a commencé à se faire sentir sur ma peau, les jours ont grandi et je me suis dit qu’il était tant de célébrer le printemps. J’ai envoyé les invitations et commencé à préparer la célébration. Au détour d’une rencontre en ville une petite fille m’a demandé si nous allions sortir l’Ourse de sa tanière. Je ne sais pas précisément ce que cela représentait pour elle, mais peut-être une forme de hâte, l’impatience d’une surprise réservée pour plus tard, l’imagination d’une transformation. Oui nous allions sortir l’Ourse de sa tanière ! J’allais enfin retrouver ce qui m’avait manqué, j’allais redevenir forte et combattive, puissante et impliquée. Y étais je prête ? Voilà qu’il me fallait refaire le chemin inverse. Sortir de ma tanière, consentir à sortir. Rallier l’extérieur, retourner m’alimenter avant d’épuiser mes réserves et mettre au monde ce qui avait hiberné tout l’hiver. Tout à coup l’impatience et l’exaltation fit place à une grande fatigue. De ces fatigues dont les herboristes, naturopathes, ostéopathes, acupuncteurs peuvent nous aider à soulager, de ces fatigues qu’il est possible d’accompagner et de purger afin de laisser place à une nouvelle vitalité. Une vitalité qui peut mettre un certain temps à s’installer, car lorsque l’Ourse sort de sa tanière souvenons nous qu’elle est amaigrie, efflanquée, que ses premiers pas seront gauches et sa fourrure en lambeau. Il lui faudra tout l’appui de la belle saison pour retrouver son entièreté et porter au monde le fruit de ses rêveries.
En attendant les enfants et leurs parents sont venus célébrer le printemps. Nous avons rallumé le Soleil, réveillé la Terre à grand coup de tambour, chanté la pureté de l’Eau, sorti l’Ourse et son petit de sa tanière et appelé le printemps en lançant des pigments colorés imbibés de nos souhaits et intentions pour cette nouvelle saison. Lorsque tout le monde fut parti, je me suis retournée une dernière fois; sur les lieux de notre célébration l’Ourse prenait l’air au milieu des couleurs, les couleurs de cette ferveur à croire en la vie, en son cycle infini. Alors en rentrant à la maison j’ai ressorti mon manuscrit ! C’est encore laborieux, à l’image de ce printemps qui semble ne pas savoir ce qu’il veut, qui hésite entre l’hiver et le dégel de la rivière. Mais comme on sort ses pots et sa terre pour faire ses semis, je suis sortie de ma tanière et j’ai écris. Une page à la fois, une rature à la fois, c’est qu’au creux de cet hiver j’ai appris à consentir, faire taire la guerrière et écrire comme on adresse une prière.
L’y déposer et s’en aller.
En posant ce geste chacun de nous laissait quelque chose sur lequel il fermait la porte, quelque chose qui dormirait tout au long de l’hiver et qu’il nous tarderait de retrouver le printemps venu. Au moment de déposer l’Ourse au fond de sa tanière je me suis sentie très émue, ce n’était pas que symbolique. Tout mon corps et mon âme semblaient me dire : « Tu es sure ? Tu es vraiment sûre ? Il ne s’agit pas juste d’une histoire racontée lors d’une fête, il s’agit de déposer et d’enfermer quelque chose de précieux pour les prochains mois… et les prochains mois tu sais à quel point ils peuvent être durs ! Es-tu certaine que tu sauras faire sans l’Ourse tout au long de l’hiver ? »
Parce que oui concrètement j’utilise beaucoup ma figurine d’Ourse et tout ce qu’elle représente dans les différents ateliers que je propose. L’Ourse a une place de choix dans les centres que je dresse pour concentrer notre attention. Mais surtout l’Ourse incarne la force, le caractère, la protection, le dévouement, l’assurance et la prestance. Étais-je sûre ? Saurais-je faire sans ? Je ne le savais pas, mais j’avais envie d’essayer car l’ourse incarne aussi une grande sagesse, celle de savoir s’arrêter, de ménager ses forces, de consentir à ce qui est, soit un long hiver. L’Ourse a aussi cette extraordinaire capacité de décaler sa gestation. Moi qui veut tout, tout de suite et à ma façon, quel puissant enseignement ! Ralentir, me reposer, mettre mes projets sur pause, me laisser avaler par la neige jusqu’à presque disparaitre du monde, me faire oublier, ne plus me battre et m’enfoncer dans ma tanière, descendre, m’enfouir au plus profond de moi là où se logent tant mes ténèbres que mes lumières.
Je l’ai fait, pendant de longs mois, consentir à ralentir.
Tenter d’initier quelque chose, de mobiliser des parties de moi et me rappeler que non. Non je ne pouvais pas. J’avais pris l’engagement de ne pas utiliser ces qualités, ces manières de faire ou trait de caractères qui dormaient au fond de la tanière. Alors j’ai dû faire autrement ou laisser aller, consentir à ne pas tout contrôler, à vivre avec une énergie limitée, à mettre de côté de nombreux projets.
Il y a quelque chose de puissant dans cette médecine, une forte confrontation entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’invisible et ce qui paraît, entre la pression que peut exercer la société et ce dont peut rêver notre unicité. Ainsi je n’ai rien fait ou si peu. J’ai été très peu active ou productive dans mes différentes implications, pire que tout puisque j’ai consenti je n’ai pas ouvert mon manuscrit. Je n’ai pas écrit, rien, pas une ligne, par l’ombre d’un avancement, aucun pas dans l’échéancier, même pas un petit quelque chose susceptible de m’encourager. J’ai plutôt chaussé mes raquettes, me suis promené dans les profondeurs de la forêt qui ne manquaient d’amorcer de longs dialogues avec moi même. J’ai pisté les renards, les lièvres et les écureuils comment autant de chemins à suivre, à découvrir, à parcourir. Je me suis reposée sur le dos de mon cheval tandis qu’il continuait à manger. J’ai respiré, amplement, profondément chaque fois que son immense cage thoracique s’emplissait d’air et semblait m’insuffler un peu de paix et de calme, de confiance et de sérénité. J’ai observé les grosses vaches à mes parents couchées au soleil, occupées simplement à ruminer et à nourrir la vie qui se déployait dans leur ventre. En étant présentes à ces instants j’ai rapatrié des morceaux, pansé des blessures, apprivoisé d’autres perspectives. Je me suis donné du temps… le temps d’absorber cette vie tonitruante qui ne cesse de nous bousculer. J’ai câliné mes enfants et assisté à un nombre incroyable de match de hockey au cours desquels j’ai tellement pleuré parce qu’en vrai c’est toute une autre game qui se jouait. L’air de rien, sans que rien ne paraisse, j’ai honoré. J’ai honoré. J’ai honoré.
Puis le Soleil a commencé à se faire sentir sur ma peau, les jours ont grandi et je me suis dit qu’il était tant de célébrer le printemps. J’ai envoyé les invitations et commencé à préparer la célébration. Au détour d’une rencontre en ville une petite fille m’a demandé si nous allions sortir l’Ourse de sa tanière. Je ne sais pas précisément ce que cela représentait pour elle, mais peut-être une forme de hâte, l’impatience d’une surprise réservée pour plus tard, l’imagination d’une transformation. Oui nous allions sortir l’Ourse de sa tanière ! J’allais enfin retrouver ce qui m’avait manqué, j’allais redevenir forte et combattive, puissante et impliquée. Y étais je prête ? Voilà qu’il me fallait refaire le chemin inverse. Sortir de ma tanière, consentir à sortir. Rallier l’extérieur, retourner m’alimenter avant d’épuiser mes réserves et mettre au monde ce qui avait hiberné tout l’hiver. Tout à coup l’impatience et l’exaltation fit place à une grande fatigue. De ces fatigues dont les herboristes, naturopathes, ostéopathes, acupuncteurs peuvent nous aider à soulager, de ces fatigues qu’il est possible d’accompagner et de purger afin de laisser place à une nouvelle vitalité. Une vitalité qui peut mettre un certain temps à s’installer, car lorsque l’Ourse sort de sa tanière souvenons nous qu’elle est amaigrie, efflanquée, que ses premiers pas seront gauches et sa fourrure en lambeau. Il lui faudra tout l’appui de la belle saison pour retrouver son entièreté et porter au monde le fruit de ses rêveries.
En attendant les enfants et leurs parents sont venus célébrer le printemps. Nous avons rallumé le Soleil, réveillé la Terre à grand coup de tambour, chanté la pureté de l’Eau, sorti l’Ourse et son petit de sa tanière et appelé le printemps en lançant des pigments colorés imbibés de nos souhaits et intentions pour cette nouvelle saison. Lorsque tout le monde fut parti, je me suis retournée une dernière fois; sur les lieux de notre célébration l’Ourse prenait l’air au milieu des couleurs, les couleurs de cette ferveur à croire en la vie, en son cycle infini. Alors en rentrant à la maison j’ai ressorti mon manuscrit ! C’est encore laborieux, à l’image de ce printemps qui semble ne pas savoir ce qu’il veut, qui hésite entre l’hiver et le dégel de la rivière. Mais comme on sort ses pots et sa terre pour faire ses semis, je suis sortie de ma tanière et j’ai écris. Une page à la fois, une rature à la fois, c’est qu’au creux de cet hiver j’ai appris à consentir, faire taire la guerrière et écrire comme on adresse une prière.
Pour celles qui souhaiteraient se joindre à ce grand réveil de nos graines, le rendez-vous est le 28 avril à 13h30 à la yourte Eskoumina !
Plus d'infos sur les rituels www.chemins-de-traverse.ca