Ce soir la tribu des Z’Ailés a vieillie, nous avons trouvé
notre Framboise sans vie, dans la vieille bergerie. Notre Framboise, qui nous accueillait lorsqu'on nous arrivait. Notre Framboise qui nous
avait fait au printemps la surprise d’un petit, est maintenant partie dans le
noir de la nuit.
En même temps qu’est monté le sanglot, je me suis aussi
dit : « C’est fini les animaux, au diable les idéaux. »
Parce que j’avais la mort au bout des doigts et que la mort c’est raide et
froid. Ça pèse sur le cœur, ça fait peur et ça engendre des pleurs.
Franchement, ce n’était pas ce que je voulais faire vivre à mes enfants, ce
n’était pas ce qui était prévu lorsque nous avions mobiliser toute la famille
et son armée de marteaux pour construire l’enclos.
Non moi je voulais la version bucolique, la version
poétique; ramasser des œufs le matin, distribuer des gamelles de grains, donner
des poignées de foin, brosser, promener, cajoler, caresser. Pleurer, enterrer
ne faisait pas partie de ce que j’avais souhaité. Forcément j’y avais pensé,
j’avais trouvé que c’était une belle façon d’apprivoiser, le cycle de la vie
avec les naissances des petits, et puis forcément des retours à la terre… mais
lorsqu’ils seraient vieux ou malades pas une nuit ordinaire au cœur de l’hiver.
Alors j’étais là abasourdie au milieu de notre vieille
bergerie, avec Cariboo à mes côté, attendant le moment de vérité. Comme si tant
que je n’avais rien confirmé, il pouvait continuer d’espérer. Un affreux
moment, un moment où l’on sait que l’on va tout gâcher, tout perturber, une
responsabilité incombée à laquelle on voudrait échapper. Le pire c’est que je
le connaissais ce moment, ce maudit instant, j’avais déjà eu à l’affronter …un
soir d’été. Parce que comme si ce n’était pas assez, ces moments nous font
revisiter le passé, tout ceux que l’on a dû quitter, de force ou de gré.
Pourtant en plein milieu de mon tourment, même si j’avais
l’impression d’avoir 11 ans, c’était moi la maman. C’était moi qui devais
accompagner les enfants, mettre la hache dans leur cœur, récolter leurs pleurs,
trouver un peu de lumière dans cette noirceur. Alors je l’ai dit, avec des
mots, des mots sans doute pas assez beaux et j’ai récolté des cris et des
sanglots… du silence aussi, parce que comme Cariboo me l’a dit; « C’est
pas parce que je ne pleure pas, que je ne suis pas triste. »
Le pire avec la mort, celle qu’elle reste là, elle s’en va
pas. On avait tous pleuré, chacun retournait doucement à ses activités,
s’interrompant régulièrement, l’air de me demander; « Est ce que j’ai
rêvé? » Non personne n’avait rêvé, à preuve notre Framboise inanimée,
couchée comme un objet oublié. Tant qu’elle était en vie, elle avait sa place
dans la bergerie. Mais là, je pouvais pas la laisser là… qu’est ce qu’on fait
dans ces cas là ? J’allais avoir besoin de bras, pour la sortir de là… comment
on allait faire ça ?
Alors même si c’est moi là mère, j’ai appelé mon père. Parce
que le plus fort c’est lui… c’est lui qui m’a appris... la vie dans une
bergerie. On a dû démonter un mur, dégager son encolure, l’encorder, la tirer
et là j’ai pleuré, pleuré, pleuré. Pleuré de voir son bébé, continuer de la
renifler, chercher le pis encore gorgé de lait pour le téter, tourner et
tourner comme pour la réveiller ou pour essayer de comprendre ce qu’il se
passait. Pleuré de peine mais aussi d’incongruité, la sensation de tellement
manquer de respect à notre Framboise à présent recroquevillée, à tirer et
tirer, s’échiner pour réussir à la sortir. Tirer, pousser, pelleter, pour
l’amener dehors et l’enterrer.
Alors mon papa m’a pris dans ses bras. Il est comme ça mon papa, toujours là. On a forcé, miséré, tellement que l’on se sentait vivant. Une autre affaire de la mort, cette maudite mort qui tue, cette maudite mort qui pue, cette mort qui en même temps nous rend fort. Grâce à mon père, on s’est sorti de cette affaire. On lui a creusé un beau trou juste en dessous d’un vieux pommier, et on l’a enneigée. Puis on est allé chercher les enfants, tendrement, pour qu’ils puissent la remercier, la caresser et la laisser s’en aller … s’en aller redonner des forces à la terre, s’en aller dans nos souvenirs doux amers.
Alors mon papa m’a pris dans ses bras. Il est comme ça mon papa, toujours là. On a forcé, miséré, tellement que l’on se sentait vivant. Une autre affaire de la mort, cette maudite mort qui tue, cette maudite mort qui pue, cette mort qui en même temps nous rend fort. Grâce à mon père, on s’est sorti de cette affaire. On lui a creusé un beau trou juste en dessous d’un vieux pommier, et on l’a enneigée. Puis on est allé chercher les enfants, tendrement, pour qu’ils puissent la remercier, la caresser et la laisser s’en aller … s’en aller redonner des forces à la terre, s’en aller dans nos souvenirs doux amers.
J'ai les larmes aux yeux à te lire, j'aurais également appelé quelqu'un pour m'épauler dans tout ça :(
RépondreEffacerOui... mais en côtoyant certaines amies je réalise que certaines n'ont pas toujours quelqu'un à appeler... c'est un réel privilège que d'avoir une famille unie !
EffacerCette réalité m'avait déjà frappé il y a une dizaine lorsque j'avais fait ma quête de Bâton de lune ...
Récit émouvant, je n'avais pas réalisé l'ampleur de la nouvelle quand tu me l'avais annoncé.
RépondreEffacerCindy D
... c'est sûr c'était un âne, il y a des peines bien plus grandes que ça dans la vie... mais au moment où ça arrive, c'est beaucoup d'émotions... pour les enfants et pour ce que ça nous fait revisiter comme moment, rêves et espoirs en tant que parents.
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