samedi 28 février 2015

... fin de vie dans la bergerie


Ce soir la tribu des Z’Ailés a vieillie, nous avons trouvé notre Framboise sans vie, dans la vieille bergerie. Notre Framboise, qui nous accueillait lorsqu'on nous arrivait. Notre Framboise qui nous avait fait au printemps la surprise d’un petit, est maintenant partie dans le noir de la nuit.

En même temps qu’est monté le sanglot, je me suis aussi dit : « C’est fini les animaux, au diable les idéaux. » Parce que j’avais la mort au bout des doigts et que la mort c’est raide et froid. Ça pèse sur le cœur, ça fait peur et ça engendre des pleurs. Franchement, ce n’était pas ce que je voulais faire vivre à mes enfants, ce n’était pas ce qui était prévu lorsque nous avions mobiliser toute la famille et son armée de marteaux pour construire l’enclos.

Non moi je voulais la version bucolique, la version poétique; ramasser des œufs le matin, distribuer des gamelles de grains, donner des poignées de foin, brosser, promener, cajoler, caresser. Pleurer, enterrer ne faisait pas partie de ce que j’avais souhaité. Forcément j’y avais pensé, j’avais trouvé que c’était une belle façon d’apprivoiser, le cycle de la vie avec les naissances des petits, et puis forcément des retours à la terre… mais lorsqu’ils seraient vieux ou malades pas une nuit ordinaire au cœur de l’hiver.

Alors j’étais là abasourdie au milieu de notre vieille bergerie, avec Cariboo à mes côté, attendant le moment de vérité. Comme si tant que je n’avais rien confirmé, il pouvait continuer d’espérer. Un affreux moment, un moment où l’on sait que l’on va tout gâcher, tout perturber, une responsabilité incombée à laquelle on voudrait échapper. Le pire c’est que je le connaissais ce moment, ce maudit instant, j’avais déjà eu à l’affronter …un soir d’été. Parce que comme si ce n’était pas assez, ces moments nous font revisiter le passé, tout ceux que l’on a dû quitter, de force ou de gré.

Pourtant en plein milieu de mon tourment, même si j’avais l’impression d’avoir 11 ans, c’était moi la maman. C’était moi qui devais accompagner les enfants, mettre la hache dans leur cœur, récolter leurs pleurs, trouver un peu de lumière dans cette noirceur. Alors je l’ai dit, avec des mots, des mots sans doute pas assez beaux et j’ai récolté des cris et des sanglots… du silence aussi, parce que comme Cariboo me l’a dit; « C’est pas parce que je ne pleure pas, que je ne suis pas triste. »

Le pire avec la mort, celle qu’elle reste là, elle s’en va pas. On avait tous pleuré, chacun retournait doucement à ses activités, s’interrompant régulièrement, l’air de me demander; « Est ce que j’ai rêvé? » Non personne n’avait rêvé, à preuve notre Framboise inanimée, couchée comme un objet oublié. Tant qu’elle était en vie, elle avait sa place dans la bergerie. Mais là, je pouvais pas la laisser là… qu’est ce qu’on fait dans ces cas là ? J’allais avoir besoin de bras, pour la sortir de là… comment on allait faire ça ?

Alors même si c’est moi là mère, j’ai appelé mon père. Parce que le plus fort c’est lui… c’est lui qui m’a appris... la vie dans une bergerie. On a dû démonter un mur, dégager son encolure, l’encorder, la tirer et là j’ai pleuré, pleuré, pleuré. Pleuré de voir son bébé, continuer de la renifler, chercher le pis encore gorgé de lait pour le téter, tourner et tourner comme pour la réveiller ou pour essayer de comprendre ce qu’il se passait. Pleuré de peine mais aussi d’incongruité, la sensation de tellement manquer de respect à notre Framboise à présent recroquevillée, à tirer et tirer, s’échiner pour réussir à la sortir. Tirer, pousser, pelleter, pour l’amener dehors et l’enterrer.

Alors mon papa m’a pris dans ses bras. Il est comme ça mon papa, toujours là. On a forcé, miséré, tellement que l’on se sentait vivant. Une autre affaire de la mort, cette maudite mort qui tue, cette maudite mort qui pue, cette mort qui en même temps nous rend fort. Grâce à mon père, on s’est sorti de cette affaire. On lui a creusé un beau trou juste en dessous d’un vieux pommier, et on l’a enneigée. Puis on est allé chercher les enfants, tendrement, pour qu’ils puissent la remercier, la caresser et la laisser s’en aller … s’en aller redonner des forces à la terre, s’en aller dans nos souvenirs doux amers.



4 commentaires:

  1. J'ai les larmes aux yeux à te lire, j'aurais également appelé quelqu'un pour m'épauler dans tout ça :(

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    1. Oui... mais en côtoyant certaines amies je réalise que certaines n'ont pas toujours quelqu'un à appeler... c'est un réel privilège que d'avoir une famille unie !

      Cette réalité m'avait déjà frappé il y a une dizaine lorsque j'avais fait ma quête de Bâton de lune ...

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  2. Récit émouvant, je n'avais pas réalisé l'ampleur de la nouvelle quand tu me l'avais annoncé.

    Cindy D

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    1. ... c'est sûr c'était un âne, il y a des peines bien plus grandes que ça dans la vie... mais au moment où ça arrive, c'est beaucoup d'émotions... pour les enfants et pour ce que ça nous fait revisiter comme moment, rêves et espoirs en tant que parents.

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